4 min de lecture

IA en a assez — le dématérialisé prend trop de place

Le Festival international du journalisme de Perugia s’est terminé dimanche 19 avril 2025. Des sujets abordés — de l’Ukraine à l’écologie en passant par le financement durable — l’intelligence artificielle régnait d’une dégoulinante supériorité.
IA en a assez — le dématérialisé prend trop de place
Blason de l'Associazione Calcistica Perugia Calcio — club de foot de Serie C. © Nathan Clément

Neuf conférences sur la désinformation, quinze sur la créativité et l’imagination, quatre sur les enjeux climatiques — plus d’une vingtaine sur l’intelligence artificielle. 


« Qu’est-ce que ce foutu rond bleu vient faire en bas de mes conversations WhatsApp ? » C’est peut-être — sûrement — le sentiment de nombreux européens fin mars, quand Meta AI a lancé son chatbot sur l'application verte et blanche. Un ajout non consenti dont on ne sait trop que faire.

Impression semblable au milieu du mois d'avril à Perugia. En plus de squatter nos téléphones, l’IA a posé sa tente au Festival international du journalisme, entre les conférences sur Gaza et les (quatre) séances dédiées à l’écologie. 

Perugia s’est transformée une petite semaine en grande démonstration tupperware de la tech’ et autres aspirateurs connectés. Nombreux sont venus vendre des algorithmes à des médias qui cherchent la solution miracle. L'un des problèmes est —au-delà qu'elle n'existe pas — que plusieurs médias de taille modeste ne sont pas invités à la table de discussion. Exemple.

« L’IA doit aussi profiter aux médias locaux »

Le 31 décembre 2025, Le Messager, journal veveysan centenaire, publiera sa dernière tribune. Avec sa titraille blanche et rouge, en italique, il a traîné sur bon nombre de tables dans le canton de Fribourg en Suisse. L'IA présentée à Perugia aurait-elle pu le sauver ? Non. Elle ne lui est d'ailleurs même pas destinée.

Pourtant, Jonathan Headwood, directeur exécutif de Public interest News Foundation (UK), explique lors d’une conférence « qu’elle [l’intelligence artificielle] doit aussi profiter aux médias locaux. » Pour appuyer ses dires : on donne l'exemple d'un média papier de San Antonio. Un bassin de population de presque un million et demi d’habitants. C’est quasiment la population francophone de la Suisse, et surtout, 1'479'281 personnes de plus que le district de la Veveyse [selon les statistiques cantonales de 2022] où officie Le Messager.

Ceci montre deux choses. Le festival s’adresse en réalité à deux publics cibles. Les journalistes de très grands médias (CNN, Libération) ou des micro-médias avec un caractère innovant. Tout l'entre-deux n'existe pas. Ces médias régionnaux ne font d'ailleurs même pas le déplacement. Les TVcomLa Libre Belgique et consorts — qui représentent une part non-négligeable du paysage médiatique — sont absents.

Une utilisation ciblée et limitée

Dans les conférenciers présents, beaucoup travaillent avec l'IA de manière ciblée. Nino Macharashvili, cofondatrice et directrice de ForSet, utilise la data et les outils d’intelligence artificielle dans son pays : la Géorgie. Elle lutte contre les narratifs russes utilisant la nostalgie de l’ex-URSS pour influer dans les élections. Preuve de cette volonté d’ingérence : les votations présidentielles du 14 décembre 2024 qui ont été largement falsifiées.

Nino Macharashvili a développé plusieurs programmes capables de repérer la désinformation, et ainsi, la nommer. 

Conférence Journalism under pressure: freedom of the press in Georgia avec Nino Macharashvili. © Andrea di Valvasone

Exemple qu’une utilisation de l’IA raisonnée est possible. Il en va de même pour toutes les possibilités qu’offre l’IA en matière de personnalisation de contenu, d'archivation ou encore de traduction.

L’IA oui, mais à quel prix ? 

Plus d'une vingtaine de conférence sur le potentiel de l'intelligence artificielle et pas une mention de son impact écologique. 300 millions de tones de CO2 d’ici 2030 pour faire tourner les serveurs. L’Agence Internationale de l’énergie (AIE) estime que l’IA consommera autant d’énergie que la France et l’Allemagne réunies.

L'Europe investit en masse dans de gigas ordinateurs et vise la neutralité carbone d'ici 2050. Emmanuel Macron s'applaudissait d'un « plug, baby, plug » lors du sommet mondial sur l'IA à Paris. Le paradoxe pourrait être risible s'il n'était pas si grave.

Dès lors, en tant que média, comment donner les clefs de son navire à cette technologie ? Comment justifier de faire lire ses articles par une voix générée [toujours aussi médiocre d'ailleurs] ? Ces innovations n'en sont pas. Ce sont tout au plus des gadgets, à l'image de la pastille bleue sur WhatsApp.

Des gadgets qui coûtent cher. Sans évoquer les problèmes en matière d’éthique, de désinformation et de propriété intellectuelle type Ghibli, etc. Pourquoi ne pas investir cet argent dans de l'éducation aux médias dans les écoles ? De former les jeunes journalistes à la narration ?

"With every crisis comes an opportunity"

You.com, plateforme d’IA est l’un des grands sponsors de Perugia 2025 et tenait une conférence sur les nouveaux outils pour les newsrooms. Richard Socher, son fondateur et CEO, a affirmé que « durant chaque crise, il y a une opportunité ».

Richard Socher, fondateur et CEO de you.com, durant la conférence Building AI for newsrooms: AI agents, RAG, everything you need to know. © Monica Rizza

Celle pour les médias de se réinventer, et pour l’IA d’un nouveau marché. Et si de nombreux techbros sont venus créer de l’intérêt à Perugia, c’est qu’ils en ont à ce qu'on les croie.

Newsletter

First Learn The Rules. Then Break Them.