
Entre le 9 et le 15 avril, des membres de rédactions de tous horizons étaient réunis Perugia, en Italie, à l’occasion du Festival International du Journalisme. Des médias, mais également des entreprises technologiques, des avocats, des dessinateurs de presse, des consultants… tous venus écouter les dizaines de conférence dépeignant les enjeux qui occupent le monde des médias aujourd’hui. L’un d’eux jette un froid dans les salles, touche à l’intégrité : la sécurité des professionnels de l’information. Au rythme des conférences, le constat est sans appel. La liberté de la presse est en sérieuse difficulté.
En temps de guerre, la presse devient une cible
À ce jour, Reporters Sans Frontières dénombre 558 journalistes détenus, 54 retenus en otage et 10 journalistes tués dans l’exercice de leur métier depuis le début de l’année 2025. Ces chiffres ne prennent en compte que les exactions en lien avéré avec leur activité de journaliste et peut donc être sous-estimé. En zone de conflit, les journalistes sont empêchés d’informer, voire pris pour cible. RSF dénonce l’« absence manifeste de volonté politique de la communauté internationale à faire appliquer les principes de protection des journalistes. »
À Gaza, plus de 170 reporters palestiniens ont été tués par l’armée israélienne. La veste portant le dossard « press » en lettres capitales n’est plus symbole de protection. À Perugia, une conférence présente le Projet Gaza, une enquête collaborative sur les violences que subissent les journalistes survivant dans l’enclave palestinienne. La plateforme Forbidden Stories est à l’origine du projet. Aux termes d’enquêtes minutieuses, le Projet Gaza tente de déterminer si les journalistes étaient délibérément visés par les frappes qui les ont blessé ou leur ont coûté la vie. Laurent Richard, directeur de Forbidden Stories, était présent à Perugia : « Le plus complexe était de vérifier les faits à distance. Comme le gouvernement israélien interdit l’accès aux journalistes étrangers, nous avons déployé des techniques avec nos partenaires et recueilli les témoignages de personnes sur le terrain pour déterminer si la nature des frappes. »
Les médias libres dans une démocratie en crise
Aux violentes exactions à Gaza ou sur le front ukrainien s’ajoutent des tentatives d’intimidations plus insidieuses. Moins flagrantes, elles ne peuvent pour autant être ignorées, comme l’expliquent Caoilfhionn Gallagher, juriste en droits humains spécialisée en sécurité des journalistes et Karen Kaiser, vice-présidente de l’agence Associated Press lors d’une conférence qu’elles animaient. Pour elles, la liberté de la presse « n'est pas une opinion », mais bien « un intérêt commun à préserver au même titre que le droit du public à être informé ».
L’Associated Press s’est récemment attiré les foudres de la Maison Blanche. Refusant d'utiliser le nouveau nom du Golfe du Mexique voté par l’administration Trump, « Golf de l’Amérique », pour des raisons éditoriales, l’AP s’est vu bannie du Bureau ovale et de tous les évènements de presse entourant le président Donald Trump. « Ce n’est pas une question de terme utilisé, c’est une question de liberté d’expression », explique Karen Kaiser. « Un gouvernement ne peut décider quel mot un média doit utiliser ou non, sous peine de se voir refuser des accréditations. » Sur décision d’un juge fédéral, l’Associated Press a pu être admise à nouveau au Bureau ovale deux mois plus tard.
Un climat qui appelle à la vigilance
Des situations aussi lointaines pour les yeux que pour le cœur des Européens. Pourtant, la banalisation des attaques envers la presse et les journalistes commence à infuser, même chez nous. Caoilfhionn Gallagher l’illustre : « Quand les États-Unis toussent, les autres pays attrapent un rhume ». La situation outre-Atlantique et dans le reste du monde est le reflet d’un climat « globalement mauvais partout ».
Quelques jours après la fin du Festival de Perugia, un journaliste indépendant, Thomas Haulotte, a été arrêté administrativement par la police de Bruxelles alors qu’il documentait une action de désobéissance civile en pleine nuit, le mardi 15 avril. Bien qu’il leur ait présenté sa carte de presse, les policiers affirment « qu’aucun élément concret ne pouvait confirmer l’exercice effectif d’une mission journalistique ». La Fédération européenne des journalistes a lancé une alerte au Conseil de l’Europe.
En 2024, la Belgique était 16e sur les 180 pays classés annuellement par RSF pour la liberté de la presse. Une amélioration par rapport à 2023 qui n’empêche pas RSF d’attirer l’attention sur certaines lacunes sécuritaires : « Les journalistes couvrant des manifestations ont fait l’objet d’intimidations et de menaces de la part des manifestants. Ils sont de plus en plus gagnés par un sentiment d’insécurité en raison des fréquentes menaces en ligne (...). Un tel climat a conduit un certain nombre d’entre eux à renoncer à couvrir certains événements jugés trop risqués, voire à abandonner leur activité. » Le bilan annuel de RSF pour 2025 paraîtra le 2 mai.
First Learn The Rules. Then Break Them.
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