
Perugia (Pérouse), avril 2025. Des centaines de journalistes se retrouvent au sanctuaire de leur profession, le Journalism International Festival. Parmi les participants, les grandes rédactions sont bien représentées : The New York Times, The Guardian, Le Monde. Ce week-end là, au cœur du programme, des conférences sur l'IA et sur les big tech, présentées par les géants du numérique (Google, Meta, OpenIA). Ces interventions se déroulent dans les plus grandes salles du festival, magnifiques, baroques, typiquement italiennes.
Au même moment, dans les salles plus petites – mais pas moins impressionnantes -, une dizaine de conférences sont consacrées au reportage en zone de guerre. C’est dans l’une d’elles, intitulée Justice for Gazan Journalists, qu’un décalage apparaît entre les préoccupations des big tech et la réalité des journalistes sur le terrain, en particulier dans les zones de conflit. Lors de cette séance, certains d’entre eux se sont exprimés sur leurs expériences. Parmi eux, Dylan Collins, vidéojournaliste pour l'AFP, basé à Beyrouth, dont le travail en zone de guerre est suivi par des milliers de personnes. Ses capsules vidéo montrent le quotidien de personnes dans des zones de conflit, des vies humaines qui, à travers ses images, deviennent plus accessibles et touchantes que dans les reportages traditionnels. Ses vidéos humanisent ces personnes, leur donnant des visages et des histoires, bien loin des chiffres et des statistiques.
Pendant la conférence, une vidéo, filmée par Dylan Collins, est projetée. Elle commence par un plan large sur une colline. Derrière, de la fumée. Une explosion a eu lieu à quelques kilomètres, dans le sud du Liban. Des journalistes de médias internationaux sur place filment la scène. « Sortie de nulle part », une bombe leur tombe dessus. La caméra continue de filmer, fixée sur la colline et la fumée. Les cris des journalistes, hors champ, prennent aux tripes. Christina Assi, journaliste, est touchée. On l’entend, "I can’t feel my legs". 37 secondes plus tard, une nouvelle explosion frappe le groupe. La caméra s’éteint.
Ce jour-là, trois journalistes ont été tués. Christina Assi, également présente au festival, a perdu sa jambe droite. D’autres ont été blessés. Tous portaient des insignes « PRESS », des gilets, des casques, et circulaient dans des véhicules clairement identifiables comme étant des voitures de presse. Aucun autre civil ne se trouvait dans la zone. L’attaque était volontairement dirigée contre les journalistes.
Les journalistes en zone de guerre bénéficient d’une protection en vertu du droit international humanitaire. Le Protocole additionnel au droit de Genève stipule que les journalistes accomplissant une mission professionnelle dans une zone de conflit doivent être considérés comme des civils et protégés en tant que tels, tant qu’ils ne participent pas activement aux conflits. Cela implique que toutes les parties ont l’obligation de protéger les journalistes et de s’abstenir d’attaquer délibérément leurs positions.
« J’ai un visage, j’ai un nom, j’ai une famille. Nous ne sommes pas un tendance à documenter. Nous ne sommes pas une histoire dont vous pouvez vous servir, et nous laisser seuls face à ce qu’il se passe. C’est à vous, journalistes, qu’incombe cette responsabilité. »
Faten Alwan, journaliste indépendante
Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, cibler délibérément des civils, y compris des journalistes non engagés dans les conflits, constitue un crime de guerre. L'armée israélienne ne respecte aucune de ces règles. Ces attaques restent pour la plupart impunies. Aucune enquête n’a été ouverte, aucun soutien n’a été apporté par les nations occidentales. La solidarité des journalistes européens et américains semble inexistante dans ce contexte. C’est ce qu’ont exprimé les intervenants de la conférence. Le manque de solidarité des journalistes s’est également manifesté envers les journalistes exilés, ces hommes et femmes obligés de fuir les autocraties dans lesquelles ils vivaient et travaillaient, pour continuer à exercer leur métier.
L’attaque filmée par Dylan Collins n’est pas isolée. L’ampleur des offensives contre les journalistes à Gaza est largement sous-estimée.Depuis le début du conflit, 200 journalistes ont été tués, dont au moins une quarantaine dans l’exercice de leur fonction. Quelques jours après le festival, une Tribune signée par des centaines de journalistes a été publiée dans Libération.
« Une hécatombe jamais vue dans l’histoire de ce métier »
Tribune publié dans Libération
Ce jour-là, la salle de conférence n'était pas pleine. Pendant ce temps, les interventions sur l’IA et sur les Big Tech, elles, ne laissaient aucune place libre.
First Learn The Rules. Then Break Them.
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