Cette initiative belge révèle une fracture dans la protection des métiers créatifs. Quand le gouvernement fédéral décide d'exonérer les artistes de sa réforme fiscale tout en maintenant la taxation doublée pour les journalistes, on observe un traitement différencié qui interroge.
Ce qui frappe, c'est la logique économique implacable : jusqu'à 30% des revenus des journalistes salariés et 50% de ceux des indépendants proviennent de droits d'auteur. Dans un secteur où les salaires stagnent et les tarifs ne sont plus indexés depuis des années, cette fiscalité représente bien plus qu'un avantage — c'est souvent ce qui permet de rester dans la profession. L'AJP souligne d'ailleurs que beaucoup quittent déjà le métier faute de revenus suffisants.
L'ironie est saisissante : alors que la désinformation prolifère et que le pluralisme médiatique s'érode, les pouvoirs publics créent involontairement les conditions d'un affaiblissement supplémentaire du journalisme indépendant. Cette réforme s'inscrit dans un contexte plus large de pressions sur le secteur : arrêt du soutien à la distribution, coupes budgétaires à la RTBF, concentration des groupes de presse.
Cette différence de traitement entre artistes et journalistes révèle peut-être une vision cloisonnée des métiers de la création, où l'information ne serait pas considérée comme un bien culturel méritant la même protection fiscale que l'art. Une approche qui pourrait avoir des conséquences durables sur la qualité du débat démocratique.
Points de vigilance : Risque de corporatisme : ne pas confondre défense légitime d'une profession avec privilèges fiscaux. Attention aussi à ne pas opposer artistes et journalistes, mais plutôt questionner la cohérence globale du soutien aux métiers de la création et de l'information.
7/10 : Score sur l'échelle des "5 piliers de la liberté", inspiré de l'ouvrage de Timothy Snyder

Et maintenant ?
Face à ces enjeux, plusieurs pistes d'action systémique se dessinent.
🤘 Créer un statut unifié des créateurs d'information et de culture, sur le modèle du statut des travailleurs des arts belge.
Plutôt que de multiplier les exceptions fiscales au cas par cas, cette approche reconnaîtrait la continuité entre création artistique et création journalistique. Une telle réforme pourrait fédérer les syndicats de journalistes, les associations d'artistes et les défenseurs de la diversité culturelle autour d'une vision commune : l'information comme bien culturel essentiel. Cette alliance permettrait de sortir de la logique de guichet pour aller vers une politique publique cohérente de soutien aux métiers précaires de la création.
On saura que ça marche quand les débats parlementaires cesseront d'opposer catégories créatives entre elles et quand émergera un lobby transversal culture-info. À moyen terme : stabilisation des effectifs journalistiques et diversification des profils dans les rédactions.
💪 Développer des coopératives journalistiques avec soutien public ciblé, inspirées du modèle des SCIC françaises.
Ces structures permettraient aux journalistes indépendants de mutualiser leurs revenus et leurs risques, tout en préservant leur liberté éditoriale. L'enjeu est de créer une alternative au salariat traditionnel et à l'indépendance précaire. Les collectivités locales, conscientes de l'enjeu démocratique, pourraient soutenir ces initiatives par des commandes publiques d'information locale, créant un cercle vertueux : financement stable pour les journalistes, information de proximité de qualité pour les citoyens.
On saura que ça marche quand les premières coopératives journalistiques obtiendront des agréments et des commandes publiques. À moyen terme : émergence d'un écosystème médiatique plus résilient et moins dépendant des logiques de marché.
✊ Conditionner les aides publiques aux médias à des critères de gouvernance démocratique et de conditions de travail.
Au lieu de subventionner sans contrepartie, cette approche lierait le soutien public à des engagements concrets : représentation des journalistes dans les conseils d'administration, transparence sur les rémunérations, respect de l'indépendance éditoriale. Cette conditionnalité pourrait mobiliser les régulateurs médias européens et les organisations syndicales pour créer un standard commun de 'médias démocratiques'.
En Belgique francophone, les aides à la presse sont déjà conditionnées à un socle minimal de déontologie et de respect des accords collectifs, avec un CDJ qui agit comme autorité morale d’autorégulation et un CSA qui joue un rôle de gardien du pluralisme et de l’indépendance, sans pouvoir direct de couper les subventions mais avec un poids politique réel dans les réformes.
En revanche, il n’existe pas encore de mécanisme explicite qui lie automatiquement avis déontologiques ou analyses du régulateur à un système gradué de bonus/malus sur les aides, ni de standard complet de “médias démocratiques” intégrant la gouvernance interne, la représentation des journalistes au CA et la transparence des conditions de travail, ce qui laisse un espace clair pour une proposition en ce sens.
L'objectif : transformer le financement public en levier de transformation structurelle plutôt qu'en simple perfusion.
On saura que le dispositif fonctionne vraiment lorsque les cahiers des charges des aides publiques intégreront explicitement ces critères sociaux et démocratiques, et qu’ils pèseront sur l’octroi comme sur le renouvellement des subventions.
À moyen terme, l’objectif est de voir une amélioration mesurable des conditions de travail dans les médias bénéficiant de ces aides et un effet d’entraînement sur les pratiques du secteur privé, où l’argent public servirait de levier de standardisation sociale plutôt que de simple soutien.
Ces pistes ne sont pas des recettes toutes faites, mais des points d'entrée pour repenser nos systèmes numériques selon une logique de liberté positive : non pas limiter, mais augmenter nos capacités collectives d'action.
Si tu connais des exemples réels qui vont dans ce sens — ou des contre-exemples qui méritent d'être documentés — partage-les moi et documentons les ensemble !
Cinq piliers pour prendre soin de nos libertés numériques


